"Depuis sa naissance, l'homme n'utilise qu'au maximum 10% de sa matière grise". C'est sur cette idée simple que repose Lucy, le dernier film de Besson. Pas mal de gens annonçaient très tôt une overdose, notamment du fait du rouleau compresseur marketing déployé vers le mois d'avril. Personnellement, je ne sais pas comment j'ai fait mon compte, mais je suis passé totalement au travers de cette débauche de campagnes de publicité. C'est ainsi que je me rends à la projection de Lucy, l'esprit vierge de tout préjugé (je n'avais même pas vu la bande-annonce et j'ai pris le parti de mettre la paranoïa anti-partage et pro-HADOPI de Besson dans un autre coin des 10% de ma tête). Appréciant énormément une bonne partie de la filmographie de l'un en tant que réalisateur et de l'autre en tant qu'actrice, Luc Besson et Scarlett Johansson me suffisaient largement pour faire le déplacement.

Un peu dubitatif après les premières secondes, je suis rapidement entré dans le scénario. Lucy démarre comme une production de film de gangster puis glisse, sans doute un peu trop rapidement vers un film de science-fiction. En ce sens, Lucy m'a laissé un goût dans la bouche un peu similaire à celui de Contact (le film de Robert Zemeckis) : à un moment clé de ces deux films, on bascule brusquement du plausible au surréaliste. Difficile donc, de rédiger un pitch sans trop en dévoiler puisque le film nous prend à contre-pieds à plusieurs reprises dès les premières minutes. En gros, une étudiante se réveille après s'être faite enlevée par la mafia coréenne. On lui a inséré un paquet d'une nouvelle drogue très puissante dans l'estomac afin qu'elle l'achemine jusqu'en Europe. Mais le contenu commence à se déverser dans son corps. Pour le reste, je vous invite à regarder la bande-annonce (disponible à la fin de l'article), même si malheureusement, comme la plupart des bandes-annonces, elle en montre déjà beaucoup trop : n'hésitez pas à la couper dès le premier tiers si vous êtes déjà convaincus d'aller voir - ou de ne pas aller voir - Lucy.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que Besson aime (la plastique de) Scarlett Johansson, j'ai d'ailleurs longuement cherché le verbe adéquat (idolâtre ? vénère ? fantasme ?). L'enchaînement de très gros plans sur l'américaine atteste rapidement de cela. On pouvait s'y attendre : il avait déjà pris cette habitude avec Mila Jovovich pour Le Cinquième Élément ou Jeanne d'Arc. On la voit ainsi sous toutes les coutures : lèvres, yeux, cou, épaule, buste, entre-jambe, toute l'anatomie y passe, et évidemment, c'est plutôt agréable, surtout lorsqu'en général, cela sert le suspense. Sur le plan du spectacle à proprement parlé, Scarlett Johansson en Lucy n'est pas si loin de son rôle de Black Widow dans Avengers : armée de deux flingues et d'une détente hors du commun, elle s'en rapproche même furieusement. En tout cas, une fois de plus, Besson nous rappelle qu'il aime les femmes fortes.

Morgan Freeman est lui aussi très convaincant dans son habituel rôle de vieux sage. En tant que professeur de recherche cérébrale, il est le garant de la caution scientifique du film (même si celle-ci est largement discutable et contestée), tandis que Choi Min-Sik est captivant dans son rôle de coréen sanguinaire. J'ai également apprécié l'ambiance et le casting cosmopolite de ce film dans lequel on parle trois langues : l'anglais, le français et le coréen. D'ailleurs, si l'intrigue prend place entre Taipei (Taiwan) et Paris, elle fait également quelques détours rapides par l'Italie ou l'Allemagne. Le jeu d'acteur m'a semblé excellent (en particulier l'égyptien Amr Waked, interprétant un flic parisien), ce qui me paraît un exploit compte tenu du casting en partie francophone.

Mais comme d'habitude avec Luc Besson, si je passe un excellent moment, j'ai aussi cette sensation désagréable qu'il a de temps en temps un peu trop cédé à la facilité. L'aspect le plus flagrant reste pour moi cette série de mini-films (allant du documentaire animalier à des scènes de préhistoire), la plupart piochée sur Fotolia si j'en crois les crédits, inclus dans le déroulement pour servir l'analogie entre le règne animal et l'espèce humaine. Cela m'a semblé un peu bourrin et facile. On retrouve quelques travers habituels de Besson comme par exemple, la violence, souvent totalement gratuite (je pense à Léon, même si j'adore ce film), qui ne fonctionne pas aussi bien que dans les productions de Tarantino dont il semble vouloir s'inspirer.

Il y a également des plans quasiment identiques à ce qu'on a déjà pu voir dans la série des Taxi : je pense à la scène d'arrivée à l'hôpital du Val de Grâce (à l'identique : même mise en scène, même hôpital), ou la course-poursuite dans Paris (dingue comme un véhicule de police peut s'envoler et faire des tonneaux au moindre obstacle). D'ailleurs, remplacez Sami Naceri par Scarlett Johansson, Frédéric Diefenthal par Amr Waked et le taxi par une voiture de police, gyrophare sorti, et vous savez à quoi vous attendre. Je pourrais encore évoquer les clins d'œil un peu "pompier" (jusque dans le titre du film) au fait scientifique grand public et à certains classiques du cinéma de science-fiction. Je ne vous en dis pas plus, je suis sûr que vous comprendrez (pour le coup, j'avais presque honte, au fond de mon siège).

Autre particularité : le film est très court (moins d'1h30). Ce que je prenais au départ pour un bon signe s'est révélé être un défaut : il est trop court. Si la première moitié se déroule à une vitesse raisonnable, alors la seconde aurait gagné à s'étaler doublement dans le temps. Lorsqu'on ne prend pas le temps de nous expliquer, ce qui peut apparaître comme de l'anticipation devient rapidement de la science fiction (toujours ce problème de bascule entre le plausible et l'improbable total). C'est en tout cas ce qui fait croire à bon nombre de cinéphiles qu'adapter Lucy en série serait une excellente idée, tant le propos est intéressant, l'intrigue adaptée à une mécanique feuilletonnante, et les idées déclinables à l'infini.

Par contre, je vous préviens d'avance : pour Le Plus du Nouvel Observateur, il s'agit du film "le plus débile de l'année", pour Le Point, il s'agit d'une "belle arnaque", d'une "escroquerie" stupide. Et oui, ça fait toujours bon genre de clasher Luc Besson, qui plus est sans la moindre demi-mesure. Ah, plus constructif : pour Science et Avenir, l'argument du film "repose sur une vieille théorie scientifique complètement fallacieuse" (une théorie effectivement non avérée, mais en réalité invérifiable compte tenu de nos connaissances).

Pour conclure, c'est un film que je recommande de voir au cinéma, sans attendre nécessairement la sortie BR/DVD. Scarlett Johansson y est somptueuse à tout point de vue, Morgan Freeman et Choi Min-Sik captivent, et malgré quelques réserves, j'ai passé un excellent moment.